Les modes diatoniques

La chaîne des notes naturelles en rotation

La chaîne diatonique des notes naturelles

Les 4 modes initiaux du moyen-âge

À partir du VIIIᵉ siècle, les moines bénédictins transforment les structures musicales héritées de Boèce (VIe siècle), et plus anciennement de la Grèce antique. Leur pratique du chant liturgique s’appuie sur la succession complète des notes naturelles, c’est-à-dire l’échelle diatonique que nous connaissons aujourd’hui, fondée sur des tons et des demi-tons.

Que signifie “diatonique” dans ce contexte ?

Dans ce contexte, le mot diatonique désigne une échelle construite uniquement avec des tons et des demi-tons, sans intervalles plus grands ni plus petits. C’est la succession naturelle de notes que l’on obtient en parcourant les touches blanches du piano : une série régulière d’intervalles simples (ton ou demi-ton), qui sert de base à tous les modes étudiés ici.

Un peu plus de précision historique

Au VIᵉ siècle, Boèce transmet à l’Occident médiéval une part importante de la théorie musicale héritée des Grecs. Pour désigner les degrés dans ses démonstrations, il utilise des lettres latines (de A à P). À cette époque, ces lettres ne correspondent pas à des hauteurs fixes comme aujourd’hui : elles désignent surtout des positions dans une suite d’intervalles. Ces intervalles sont organisés selon les principes antiques, fondés sur le modèle du tétracorde diatonique, un schéma théorique qui combine de façon linéaire deux tons et un demi-ton.

Les moines organisent progressivement la chaîne diatonique en plusieurs modes.
Analysés avec notre logique actuelle, ces modes correspondent aux modes dorien, phrygien, lydien et mixolydien.

Pour comprendre les 4 modes médiévaux initiaux avec la logique actuelle, on peut les présenter comme l’attribution de 4 toniques différentes à la suite des notes naturelles.

Ainsi, en créant, avec cette chaîne diatonique, une gamme s’appuyant sur la note D, on obtient le mode dorien.
Puis, par rotation, en créant une gamme s’appuyant sur la note E, on obtient le mode phrygien.

Hauteurs relatives VS hauteurs fixes

Dans cette page, nous représentons les notes naturelles ABCDEFG sur un clavier de piano, mais il faut garder à l’esprit qu’à l’époque de Boèce et jusqu’au XVIe siècle inclus, les notes naturelles, et donc ces lettres, ne représentent pas des hauteurs absolues (c’est-à-dire des fréquences fixes). Ce qui est en jeu ce sont les rapports d’intervalles entre ces notes.

Plus tard, certains musiciens essaient localement d’adopter un « ton de référence » pour fixer les hauteurs des notes dans l’absolu, en se référant à tel ou tel orgue. Mais chaque institution possède alors son propre diapason, c’est à dire une hauteur différente pour la note A (et pour les suivantes qui sont ajustées en fonction du A).
Le diapason métallique pour accorder les instruments (tuning fork) n’apparaît qu’en 1711, et les exemplaires conservés montrent des fréquences (hauteurs absolues) très variées : il n’existe pas encore de standard.

En créant une gamme s’appuyant sur la note F, on obtient le mode lydien.

En créant une gamme s’appuyant sur la note G, on obtient le mode mixolydien.

Les 3 autres modes issus de la chaîne diatonique des notes naturelles

En prolongeant la rotation de la gamme des notes naturelles et en prenant cette fois pour toniques les notes A, B et C, on obtient trois autres modes qui ne faisaient pas partie du système médiéval initial, mais qui ont été reconnus plus tard dans l’histoire de la théorie musicale. Dès le XVIᵉ siècle, ils sont identifiés et nommés comme suit :

Le mode éolien, fondé sur la note A, qui sera plus tard rebaptisé mode mineur

Le mode locrien, fondé sur la note B, mode surtout théorique, rare dans la pratique mais qui complète néanmoins l’ensemble des sept organisations possibles

Le mode ionien, fondé sur la note C, qui sera plus tard rebaptisé mode majeur

En conclusion sur les 7 modes diatoniques

Les modes diatoniques ne sont rien d’autre que sept lectures différentes des mêmes sept notes naturelles. Le changement de tonique modifie profondément la couleur du mode, même si les notes restent identiques.

Une analyse plus moderne des modes diatoniques

Dans une approche plus actuelle, on peut observer que les sept notes naturelles ne forment pas seulement une succession de tons et de demi-tons : elles peuvent aussi être obtenues par une série de six quintes justes empilées, correspondant à la suite ascendante F–C–G–D–A–E–B.

Cette lecture met en évidence une ordonnance par quintes, structure qui, plusieurs siècles plus tard, jouera un rôle central dans la formation du système tonal à l’époque baroque.

Nous reviendrons sur ce lien entre quintes, tonalité et harmonie fonctionnelle dans d’autres pages.

Tout mode est transposable

Rappelons qu’un mode n’est pas attaché à une note particulière : c’est un schéma d’intervalles, une organisation abstraite que l’on peut appliquer à n’importe quelle tonique. Dès qu’on déplace ce schéma sur une autre note de départ, on obtient une nouvelle gamme qui fait entendre le même mode, simplement transposé.

Par exemple, le mode ionien (qui correspond au mode majeur) peut se manifester à partir des notes C–D–E–F–G–A–B : c’est la gamme de C majeur.

Mais le même schéma d’intervalles appliqué à la note D♭ donne la gamme D♭–E♭–F–G♭–A♭–B♭–C, qui est la gamme de D♭ majeur : elle exprime exactement le même mode ionien / majeur, mais transposé. Nous avions vu cette exemple dans la page sur Le mode majeur.

Ce principe vaut pour tous les modes, qu’ils soient diatoniques ou non. Chaque mode est une structure, et cette structure peut se déplacer librement sur toutes les hauteurs de départ.

Qu’est-ce qui permet d’identifier la tonique d’une gamme ?

Nous avons vu que la chaîne diatonique représentée par les sept notes naturelles pouvait changer de centre de gravité : elle peut prendre sept toniques possibles, donnant ainsi sept modes diatoniques.

Mais alors, lorsqu’on analyse une œuvre musicale qui utilise, par exemple, la gamme des notes naturelles, qu’est-ce qui permet d’identifier quelle note joue le rôle de tonique parmi ces sept possibilités ?

Plusieurs éléments structurels peuvent contribuer à faire émerger cette tonique dans une composition, c’est-à-dire à créer la sensation qu’une note particulière agit comme le centre de gravité du matériau utilisé :

1. Le noyau tonique + triade formée sur cette tonique

La répétition fréquente d’une note, ainsi que la présence récurrente de sa tierce (majeure ou mineure) ou de sa quinte, contribue à l’installer comme point de stabilité et donc de tonique.

2. La mise en valeur harmonique

Certains accords, employés à des moments clés de la phrase musicale ou de la structure rythmique, renforcent également la perception d’une tonique. Ces mécanismes relèvent de l’harmonie, que nous détaillerons dans des pages dédiées.

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