Comment apprend-on à composer ?

Comment développer sa créativité musicale ?

Souvent, l’action de composer de la musique commence par des ”embryons” d’idées d’harmonies ou de mélodie ou de rythme, (ou tout cela en même temps) qui viennent spontanément à l’imagination du compositeur, sans qu’il ait eu besoin de faire appel à un quelconque bagage théorique.

Mais pourquoi ces idées lui viennent-elles à l’esprit ?

Peut-on développer cette créativité musicale du compositeur qui semble purement instinctive ?

Oui, sans doute. Parce que cette faculté d’imagination musicale varie en fonction de la nourriture qu’on lui donne. Notamment de l’expérience musicale que l’on accumule durant des années, déjà simplement en écoutant des œuvres musicales variées.

Mais c’est surtout la pratique vocale et instrumentale qui constitue un atout capital pour la créativité musicale. Car elle permet d’incorporer tout un répertoire d’œuvres musicales. Le mot “incorporer” est réellement à prendre au sens de “intégrer en son corps”, puisque c’est la voix ou différentes parties du corps qui sont en jeu dans cette action de production musicale.

De façon bien plus profonde et durable que la seule écoute de musique, la pratique instrumentale et vocale stimule la mémoire dans son travail d’enregistrement (conscient ou inconscient) de schémas de construction musicale.

Car elle sollicite différentes modalités de la mémoire, au-delà de la seule mémoire auditive :

  • mémoire proprioceptive : celle des mouvements du corps, de la conscience de l’occupation de l’espace, de l’équilibre
  • mémoire visuelle : car le jeu instrumental a une dimension très visuelle, graphique, par les différentes combinaisons de doigtés impliquées
  • mémoire intellectuelle : lorsque l’interprète appréhende l’œuvre musicale par ses principes structurels, logiques, et catégorisables  (intervalles, accords, rythmes, mécanismes de progression harmonique, modulations etc.). Ceci est notamment favorisé par le support écrit.

Lors du travail instrumental ou vocal, l’interprète mémorise ces schémas de construction musicale. Plus tard, ceux-ci vont ressurgir spontanément à son esprit, l’incitant à composer. Et il est fréquent qu’il n’ait alors plus conscience des œuvres musicales dont ils proviennent. Cette mémorisation s’est faite inconsciemment. En fin de compte, ces schémas sont comme des briques de construction qu’il s’est appropriées, et qui un jour réapparaissent, souvent mélangées, transformées, et donc, devenues les siennes.

Analyser la musique pour l’assimiler encore davantage

En dehors de la pratique instrumentale et vocale, il est une autre activité qui permet de nourrir la mémoire de schémas de construction musicale : l’analyse musicale.

Si la pratique instrumentale favorise une mémorisation plutôt “corporelle” de ces schémas, l’analyse vise à les “rationnaliser”, à en extirper des mécanismes logiques, à théoriser des principes structurels qu’on pourra catégoriser, voire quantifier. Le regard de l’analyste sur l’œuvre musicale peut s’apparenter à une vision géométrique, architecturale de la création sonore.

Le compositeur peut choisir délibérément d’adopter une démarche intellectuelle pour démarrer ou pour développer une création musicale. Mais en réalité, la pratique de l’analyse musicale fait aussi sentir ses bénéfices au service d’une approche plus instinctive.

Car, quoi qu’il en soit, le travail d’analyse finit toujours par décanter en passant de la sphère rationnelle à la sphère instinctive.

En pratiquant l’analyse régulièrement, on s’aperçoit en effet que les schémas rendus “rationnels” par l’analyse, sont “absorbés” par la mémoire comme des “éléments de langage”.

Et lorsqu’on est en phase de composition, ils en ressortent de façon spontanée, comme des “formules” restituées inconsciemment, sans avoir d’effort intellectuel à fournir. Ces éléments théorisés ont alors été, eux aussi, “incorporés” comme des mots, des phrases et des enchaînements d’idées qui viennent, au fil des différents travaux d’analyse musicale, enrichir le vocabulaire musical naturel, instinctif et spontané du compositeur.

Le mythe tenace du compositeur touché par la grâce

Jusqu’à la période du « classicisme » (dont Mozart est un illustre exemple) le compositeur était considéré comme une sorte de maître d’œuvre technique. Pour les puissants de l’aristocratie, engager un compositeur pour animer les événements de la cour était une sorte de convenance liée à leur rang, tout comme on engageait à demeure un cuisinier ou un paysagiste. Les compositeurs dépendaient alors totalement de ce mécénat pour vivre de leur art. En fin de compte, dans la plupart des catégories sociales, le métier de compositeur n’avait qu’assez peu de prestige.

Puis, la société occidentale du XIXe siècle, dans sa période « romantique »,  a exacerbé les passions et les ascensions individuelles. Elle s’est mise à brandir ses élites, souvent issues d’une classe bourgeoise dominante et ayant pris goût au pouvoir. Durant cette période s’est forgée peu à peu l’image de l’artiste compositeur éperdument habité par ses émotions. Celle d’un héros vibrant et fébrile doué d’une supraconscience qui lui permettait de créer une connexion profonde entre lui et l’univers, composant sa musique pour satisfaire une pulsion impérieuse, comme pris par une sorte d’état de grâce. S’est alors construite, dans cette société romantique, l’image du compositeur qui, traversé par un extraordinaire flux d’inspiration, voyait jaillir comme un torrent les idées créatives de son esprit.

Certes, l’Histoire de la musique nous rapporte que certains grands compositeurs ont eu tendance à être dans cet état de façon plus ou moins permanente. Mais la focalisation de la société sur ces quelques exceptions de l’Histoire occulte une réalité bien moins héroïque et bien plus « ordinaire ».
Cette réalité, c’est qu’en coulisse de beaucoup d’œuvres musicales, il y a très souvent pour l’artiste auteur la nécessité de fournir un travail laborieux avant d’obtenir le résultat final que le public peut apprécier,  élégant, captivant, finement structuré, parfois innovant, parfois simple en apparence. Pour achever son oeuvre, le compositeur doit, en réalité, maintes fois buter sur ses propres maladresses, choisir de fausses pistes puis rebrousser chemin, consulter ses pairs et ses prédécesseurs pour rafraîchir son inspiration.

Mais l’image du compositeur génial qui crée sans aucun labeur plaît beaucoup aux foules. Et, au fond, notre société actuelle garde encore, de ce point de vue, quelques traits de caractère du Romantisme. Cette image plaît aussi beaucoup aux éditeurs qui l’entretiennent volontiers dans leurs supports de communication. Car, bien entendu, cette version flatteuse de l’auteur-héro ne peut être que bénéfique pour le commerce de la musique, ce que l’industrialisation de ce secteur n’a pas atténué… Aussi, parmi les compositeurs ou les éditeurs à succès, rares sont ceux qui parlent au public des brouillons, des ratures et coups de gomme qui ont précédé le produit artistique fini…

Ironiquement, nous pouvons nous interroger sur le mot « composer ». C’est ce verbe qui a été choisi depuis plusieurs siècles et dans plusieurs langues, pour désigner l’activité de créer / inventer de la musique.
Dans de nombreux domaines, « composer » veut littéralement dire « former un tout par l’assemblage de plusieurs parties ». Il y a donc là l’idée que la « composition » commence par une collecte d’ingrédients, à laquelle suit un travail d’assemblage. Le fleuriste réalise une composition florale. Il ne crée pas les fleurs, il ne fait que les assembler pour former le bouquet.

Il y a paradoxalement moins de fantasmagorie ou de fulgurance dans ce verbe « composer » que dans l’image qu’entretient une part notre société concernant l’action elle-même de composer de la musique.

Si ce paragraphe « démystifie » l’action de composer de la musique, et en souligne le labeur souvent mésestimé,  il a aussi l’objectif d’encourager tous les esprits créatifs à tenter l’expérience de la création musicale. Il invite le musicien à ne pas se laisser impressionner par l’image romantique et artificielle du compositeur « génial et fulgurant ». À ne pas douter de sa légitimité et de ses capacités à s’aventurer dans cette entreprise. À ne pas s’auto-censurer. Et à simplement nourrir sereinement et patiemment son imagination de toutes les sources d’inspiration, interprétations d’œuvres, et analyses utiles. Alors le mot de la fin sera… au travail maintenant !