Solfège et théorie musicale : quelle différence ?
Commençons par écarter ce malentendu : même si beaucoup de personnes les confondent, solfège et théorie musicale sont deux champs de connaissance différents !
Le solfège désigne exclusivement un système graphique qui permet de traduire par écrit principalement deux aspects de la musique : ses hauteurs de sons et ses rythmes.
Apprendre à transcrire graphiquement, grâce au solfège, une hauteur de son ou sa durée (ou une durée de silence), c’est comme apprendre à écrire les différentes lettres de l’alphabet. Apprendre à solfier une partition (c’est-à-dire à nommer les notes qu’elle affiche sur une portée, tout en restituant vocalement les figures rythmiques écrites) c’est comme apprendre à lire des mots.
La théorie musicale, quant à elle, observe les relations entre les sons dans diverses œuvres musicales, sur un plan harmonique, ou rythmique, ou structurel. Elle s’efforce d’analyser et de déduire des mécanismes ou des usages dans les associations entre les sons, entre les phrases musicales, entre les accords, entre les sections d’une œuvre musicale. S’intéresser à la théorie musicale c’est s’appliquer à comprendre les principes d’architecture de la matière sonore qu’on peut observer dans la création musicale.
On peut donc avoir de bonnes compétences en solfège, et n’en avoir aucune en théorie musicale. Un peu comme si vous saviez lire ou écrire des mots dans une langue que vous ne comprenez pas, en procédant phonétiquement. (Ça n’aurait pas beaucoup d’intérêt, mais il se trouve que beaucoup d’instrumentistes savent solfier une partition sans rien connaître de la théorie musicale, ou très peu).
Et inversement ! On peut avoir de bonnes compétences en théorie musicale, et n’en avoir aucune en solfège. Ce serait un peu comme connaître la grammaire, la syntaxe ou encore l’art de composer un poème, sans savoir lire ou écrire (en ayant un rapport exclusivement oral avec la langue).
Bien entendu, nous recommandons à tous les musiciens d’avoir des compétences dans les deux domaines : solfège et théorie musicale. Et cette préconisation est encore plus importante pour les musiciens qui souhaitent composer ou arranger de la musique.
Dans quelles situations le solfège est-il utile ?
Le solfège est très utile pour transmettre des mélodies, des rythmes et des accords à des chanteurs ou à des instrumentistes.
Le premier objectif du solfège est que ces derniers puissent chanter ou jouer « à vue », c’est-à-dire à la lecture d’une partition, toute œuvre musicale, sans même l’avoir entendue auparavant. Il permet que le travail de l’interprète puisse démarrer immédiatement, sans attendre d’avoir mémorisé l’œuvre, comme avec n’importe quel texte qu’on voudrait restituer oralement à un public.
L’argument clé des musiciens qui n’utilisent pas le solfège est souvent le suivant : s’ils sont dans la situation de devoir jouer ou chanter une nouvelle partie vocale ou instrumentale (qui n’est pas de leur invention), ils préfèrent le faire de mémoire après l’avoir écoutée.
Mais cela peut poser potentiellement plusieurs problèmes quand l’œuvre à reproduire est complexe ou qu’il y a une grande quantité de musique :
- Ont-ils une oreille musicale suffisamment aiguisée pour pouvoir identifier toutes les notes de l’œuvre ?
- Ont-ils un sens du rythme suffisamment pointu pour pouvoir reproduire précisément les rythmes de l’œuvre ?
- Peuvent-ils réellement tout mémoriser ?
- Et, d’autre part, y a-t-il un enregistrement audio déjà existant de l’œuvre ou un musicien qui pourrait la jouer afin qu’on puisse tenter de mémoriser sa partie vocale ou instrumentale ?
Imaginez que vous soyez engagé(e) à interpréter un répertoire de 25 morceaux que vous n’avez jamais travaillés ou même entendus. Imaginez que certains de ces morceaux soient constitués de motifs et d’harmonies complexes. Et imaginez enfin que vous ayez seulement 2 semaines de préparation.
Ce ne serait pas une mince affaire de devoir tout apprendre uniquement avec vos oreilles et votre mémoire…
A contrario, le solfège permet d’assurer que tous les détails sonores de l’œuvre, même les plus subtils, soient clairement lisibles et assimilables par le lecteur de la partition.
Dans tout genre musical, surtout lorsque l’oeuvre à jouer contient une certaine complexité ou des subtilités, la partition est un apport de précision indispsable pour qui sait la lire.
Au-delà de cet aspect de transmission, le solfège a aussi une autre vertu : son efficacité visuelle.
En effet, grâce au système graphique du solfège, 5 minutes de musique ininterrompue contenant mélodies, rythmes, accords plaqués ou arpégés au piano peuvent tenir sur une seule page.
Il faut dire que, depuis sa première forme apparue au XIe siècle, le solfège a eu le temps d’être amélioré pendant plusieurs siècles.
Ainsi, avec une compétence minimale en solfège, on parvient rapidement, en un coup d’œil sur la partition, à identifier les accords, à assimiler le tuilage rythmique entre les parties instrumentales ou vocales, à cerner la structure de l’œuvre etc.
Pour résumer, le solfège est un compagnon très utile à l’analyse de la musique, et donc, à la compréhension de son architecture, quel que soit le style observé.
En combien de temps obtient-on des résultats ?
Maîtriser le solfège ne prend pas beaucoup de temps si l’on s’y met avec assiduité. Comprendre les différents symboles graphiques est en fin de compte très rapide.
Le plus long est le temps d’adaptation de l’œil à ce mode de lecture particulier. L’objectif à atteindre est d’acquérir de la fluidité dans sa compétence à lire une partition. Mais c’est ensuite un acquis pour la vie !
C’est aussi une question de complexité musicale.
Être en mesure de solfier des partitions de piano de la période romantique requiert sans doute plusieurs années d’un entraînement « intensif » au solfège.
En revanche, les œuvres de « musiques actuelles » sont bien plus simples, tant sur le plan de l’architecture musicale, que sur celui de la technicité instrumentale. Aussi, un apprentissage du solfège dédié uniquement aux musiques actuelles peut être l’affaire de seulement quelques semaines à quelques mois d’un travail bien assidu, au moins pour la seule lecture de notes.
Pourquoi les français ont-ils peur du solfège ?
En France, le solfège est la bête noire de beaucoup d’enfants…mais aussi de beaucoup de parents qui sont passés par là !
Et c’est tout un système éducatif en France qui est en cause dans le rejet du solfège. La pratique musicale a toujours été totalement en arrière-plan des priorités de l’éducation nationale. Elle est depuis longtemps réduite à la portion congrue. Alors, pour beaucoup (enfants comme parents), les rares et ponctuels moments de contact avec un apprentissage musical doivent nécessairement laisser de côté les efforts trop laborieux. Contrairement à l’effort physique et psychomoteur à fournir dans le travail d’un instrument, il apparaît alors que le solfège n’est pas totalement indispensable pour reproduire des morceaux simples qu’on peut finalement « jouer à l’oreille ».
Il faut ajouter à cela que des siècles de pédagogie austère du solfège en France ont laissé des traces. Dans les conservatoires, on veille à ce que les enfants progressent rapidement en solfège. En fin de compte, c’est surtout parce que cela facilite la vie des professeurs d’instruments. En effet, utiliser exclusivement le support de la partition est la méthode la plus simple… pour ces derniers. Le solfège devient alors souvent un véritable objet de stress, pire même : de sélection ! Il faut reconnaître que peu de professeurs de formation musicale dans les conservatoires parviennent à évacuer (ou à résister contre) la pression sur cette partie de leurs cours. Certains l’accentuent au contraire… Et bien entendu, c’est généralement contre-productif, et très démotivant pour les enfants des conservatoires.
Ainsi, dans ce contexte, des dizaines de milliers de musiciens français sont confortés dans leur opinion qu’on peut construire toute une vie d’activité musicale sans le solfège, voire que c’est préférable pour la créativité.
Cette réflexion serait équivalente au fait de penser qu’on peut se passer de savoir lire ou écrire la langue qu’on parle au quotidien, et que l’analphabétisme fait de meilleurs poètes. Nous vous invitons à penser différemment. Pourquoi voudriez-vous faire l’économie d’un effort dérisoire qui vous priverait d’un outil si utile ?
En réalité, le solfège est un savoir courant et basique dans le monde entier. Ne pas (ou presque pas) savoir solfier est un modèle aujourd’hui un peu dépassé. Avec un peu d’ironie, je dirais que seuls quelques gaulois arrivent à revendiquer avec fierté leur résistance au solfège…
Pourquoi le solfège est-il mieux accepté ailleurs qu’en France ?
Dans beaucoup de pays, la pratique musicale fait totalement partie de l’univers scolaire des adolescents. En Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, en Europe de l’Est, ceux-ci participent à de nombreuses chorales et autres groupes de musique. Aussi, tout le monde y considère ces activités comme des éléments importants d’une éducation complète. Et d’ailleurs l’éducation nationale héberge celles-ci dans ses locaux.
De plus, ces ensembles instrumentaux et vocaux, dans les pays anglophones, sont généralement très ouverts aux musiques actuelles. Alors, pour ces jeunes, aboutir au plaisir du concert de fin de semestre donne bien plus d’entrain à fournir quelques efforts laborieux. Le solfège est le support standard de leur communication, et il favorise la réussite de la réalisation musicale collective.
Ainsi, dans ces pays, tout le monde accepte son apprentissage. Mis en perspective avec tous les bienfaits qu’il apporte, il n’est même pas un sujet de discussion !
C’est pourquoi beaucoup d’artistes de pop anglaise ou américaine maitrisent le solfège depuis leur plus jeune âge. Ce qui n’est vraiment pas le cas d’une majorité de chanteuses et de chanteurs de variété française…
Un peu d’histoire et une belle animation
Pour la petite histoire : le mot “Solfège” vient des noms de notes “Sol” et Fa”. Au moyen-âge en France, on a d’abord parlé de “solmisation”, mot issu des noms de notes “Sol” et “Mi”.
On attribue l’invention du solfège à Guido D’Arezzo, un moine italien du XIe siècle.
Une belle réalisation graphique animée pour mettre en scène le solfège
Visionnez donc cette très belle vidéo d’animation graphique mêlant solfège et théorie musicale. (Cliquez sur les liens ci-contre pour y accéder).
Elle est construite sur la bande son de l’excellent film « Amadeus » de Milos Forman. Elle présente un dialogue imaginaire entre deux compositeurs : Mozart, et Salieri.
L’auteur de cette animation a eu l’idée d’utiliser le solfège pour mettre en valeur le génie de Mozart.