Musique afro-américaine : les origines

Histoire de la musique occidentale : la musique afro-américaine

La musique afro-américaine est l’un des produits de la rencontre et du mélange progressif entre les cultures occidentale et africaine qui a lieu aux États-Unis.

Du XVIe siècle jusqu’en 1865, période durant laquelle sévit l’esclavage, parmi les violences qui leur sont infligées et les libertés dont on les prive, les africains n’ont pas le droit de conserver leurs rites et leurs pratiques culturelles. Ils sont contraints de se convertir au christianisme. La pratique musicale ne leur est autorisée qu’en des moments et des lieux surveillés. Et on leur interdit d’utiliser des instruments de percussions, jugés dangereux car pouvant potentiellement servir d’outils de communication codée pour fomenter une rébellion.

La population noire asservie est bien plus nombreuse dans les colonies du sud (de Virginie jusqu’en Georgie) que dans celles du centre ou du Nord.  C’est là que, progressivement durant le XIXe siècle, les esclaves africains créent ce métissage entre les musiques européennes et celles issues de leur culture africaine. Au début du XXe siècle, cette fusion s’articule globalement en trois esthétiques musicales : le Spiritual, le Blues, et le Ragtime.

Spiritual

Le Spiritual est le résultat d’une synthèse qui s’opère progressivement à partir du début du XIXe siècle entre le genre du chant choral issu de la musique sacrée chrétienne protestante, celui des work songs, et plus loin en arrière, avec la tradition ancienne du chant polyphonique africain. Les work songs existent dans toutes les cultures rurales, d’Afrique, d’Europe, ou chez les amérindiens. Les esclaves noirs chantent des work songs lorsqu’ils travaillent durement dans les champs pour les récoltes ou sur les voies ferrées. Ces chants, alors désignés « slave songs » et répertoriés par des historiens, portent déjà le fruit du métissage entre les cultures africaine,  européenne et améridienne. Le chant africain polyphonique et les work songs africaines adoptent souvent le principe du dialogue entre un soliste et un chœur.

Au cours de son élaboration pendant de nombreuses décennies, le Spiritual façonne un style harmonique et rythmique nouveau qui imprègnera aussi le Blues. Dans cette forme chorale, l’improvisation a sa place, incarnée par le chanteur lead, comme dans la tradition polyphonique africaine. Privés de la possibilité d’utiliser des instruments de percussion, les esclaves africains développent un jeu rythmique basé sur l’utilisation percussive de leur corps.

Le spiritual invite ses interprètes et auditeurs à la ferveur. Ses textes sont généralement bibliques et racontent notamment les persécutions des Hébreux en Égypte. Les esclaves africains y voient le reflet de leur propre sort.

Lorsqu’il sortira du cadre du culte pour devenir objet de concerts, le Spiritual sera rebaptisé Gospel.

Blues

Le Blues tient ses origines de nombreuses musiques folkloriques : africaine, amérindienne, et européenne. En somme, il est une branche de l’American Folk Music, mais celle du Sud des États-Unis, qui va se développer jusqu’à devenir un genre à part entière. Tout comme le Spiritual, il est porté par la communauté noire, et influencé par les work songs. Il se chante en solo et s’accompagne avec des instruments rudimentaires. Peu à peu, c’est le banjo ou la guitare qui en deviennent les instruments emblématiques. Dans le Blues, on exprime, souvent avec ironie, l’infortune et toutes sortes de désarrois. L’un des ingrédients majeurs du Blues est son style harmonique, qu’on retrouve aussi dans le Spiritual. Celui-ci apporte, sur plusieurs points, des aménagements du système tonal provenant de la culture savante européenne.

Pour les lecteurs musiciens, mentionnons quelques-uns des ingrédients du Blues :

  • L’emploi systématique de l’accord 7 (dit « de dominante » dans le système tonal), a minima sur les degrés forts (I – IV et V)
  • L’emploi fréquent de la « blue note » qui vient faire frotter une tierce mineure contre la tierce majeure dans les gammes ou les accords majeurs
  • L’utilisation quasi systématique de la quarte augmentée (ou quinte diminuée) en tant qu’appogiature de la quinte ou de la quarte de la gamme.
  • Peu à peu, la normalisation d’une progression harmonique qui devient la grille classique du Blues
  • Les progressions harmoniques s’appuyant sur le cycle des quintes pris dans le sens ascendant (bVI – bIII – bVII – IV – I)

Tous ces éléments d’harmonie sont tellement nouveaux pour les oreilles occidentales qu’ils confèrent au Blues et au Spiritual un caractère qu’on associe rapidement à l’identité africaine de ces genres.

Il faut aussi mentionner un autre aspect fondamental du Blues et du Spiritual, rythmique cette fois : la pulsation ternaire. En réalité, cette pulsation n’est pas toujours « parfaitement » ternaire, mais plutôt située entre le binaire et le ternaire. C’est justement la façon de doser cette « ternarisation de la pulsation binaire » qui définira ce qu’on nommera plus tard le swing.
Ce swing imprégnera désormais l’ensemble des courants du jazz et donnera à cette grande famille musicale l’une de ses marques identitaires les plus fortes.

Enfin, dernier aspect du Blues qui, lui aussi, sera l’une des clés du jazz : l’improvisation. Celle-ci se manifeste de deux façons. Premièrement, entre les moments chantés, on improvise des solos de guitare. Deuxièmement, les parties vocales et instrumentales ne sont pas figées (et encore moins écrites). Le morceau s’appuie sur une mélodie et sur une progression harmonique autour desquelles l’interprète improvise de nombreux détails. Il en produit donc ainsi de multiples variantes.

Ragtime

À l’image de son nom (« ragged time », soit « temps déchiré »), ce style exclusivement pianistique s’appuie essentiellement sur deux principes rythmiques. Premièrement, les accords de l’accompagnement font entendre une main gauche pulsée sur les temps. Deuxièmement, la mélodie lead est très syncopée, créant avec l’accompagnement un tuilage rythmique très énergique.
Généralement, la main gauche exécute ce qu’on appellera plus tard la « pompe ». Elle joue, sur chaque temps, la basse de l’accord, puis, sur chaque contre temps (deuxième croche du temps), de façon accentuée, les notes restantes de l’accord.

Le Ragtime est inventé par des afro-américains dans des états où l’esclavage n’est plus en vigueur. Ou bien s’il l’est encore, ce sont des esclaves affranchis. Ces musiciens ont assimilé les œuvres romantiques pour piano de la « vieille Europe ». Pour certains, la technique pianistique est un enjeu important pour faire valoir sa condition de citoyen libre et égal au citoyen blanc, et même rivaliser avec lui.

Le style du Ragtime applique la « syncope africaine » à une base harmonique et mélodique inspirée d’œuvres romantiques. Il prend également appui sur le Cake-walk,  danse parodique apparue plus anciennement chez les esclaves, et visant à se moquer des blancs, notamment dans leur façon de danser.

Comparé au Blues et au Spiritual, il peut présenter une certaine rigidité. Il n’adopte pas, ou très peu, le style harmonique et la pulsation swing du Blues et du Spiritual. Il faudra attendre pour cela son évolution vers le style du piano stride.

Frise chronologique

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